vendredi 7 mai 2010

Visions d'un réalisateur Philippin - interview dans Courrier International

Article de Courrier International

Brillante Mendoza, face cachée des Philippines

Lola, le dernier long-métrage de Brillante Mendoza, qui sort sur les écrans français le 5 mai, suit dans les quartiers pauvres de Manille deux grands-mères qui se battent pour leur petit-fils, chacune à sa manière. De passage à Paris, le réalisateur philippin a partagé avec Courrier international son approche d'un cinéma "social". Il a aussi livré ses impressions alors que l'archipel élira un nouveau président le 10 mai.


Lola, à l'instar de vos films précédents, brosse un portrait social des Philippines, n'hésitant pas à mettre en images leurs aspects les plus sombres. Vous vous plaisez à définir votre cinéma par l'expression française de "cinéma vérité". Est-ce là la meilleure définition ?

Oui, ou encore ce qu'on appelle real life, la "vie réelle". Il ne s'agit pas de mettre en scène des films comme le font les productions traditionnelles. Dans mon cas, on peut parler de néoréalisme.

Est-ce nouveau aux Philippines ?

Dans un certain sens, oui, parce que le cinéma philippin est davantage au contact des superproductions hollywoodiennes.

Que vous revendiquez parmi vos influences ?

En toute honnêteté, je ne peux pas dire avoir été influencé par l'industrie hollywoodienne. J'ai été exposé à ces films, mais ce n'est pas le modèle auquel je m'identifie. Pas plus qu'à l'école européenne, à laquelle je n'ai pas eu accès. Voilà seulement cinq ans que j'ai entamé ma carrière de réalisateur de fictions. Auparavant, je travaillais dans les clips publicitaires et baignais donc davantage dans ce monde glamour et commercial. Quand j'ai commencé à réaliser mes propres films, il s'agissait moins de me référer à telle ou telle école que de développer mon propre style. Mon ressenti me servait de guide. Jour après jour, mon travail est une découverte, pas seulement des techniques de fabrication d'un film mais aussi de mon propre style ainsi que de moi-même, de ce que je veux réellement faire. Comment vais-je évoluer à l'avenir ? C'est une question à laquelle je suis incapable de répondre car, aujourd'hui encore, je continue d'apprendre. Parallèlement à mon travail de réalisateur, je m'efforce de m'enrichir en regardant des films alternatifs, des films que je n'ai pu voir par le passé, tels ceux des maîtres du néoréalisme – Truffaut ou De Sica – dont je me sens proche.

Pourriez-vous retourner à la pub ?

Je ne l'ai jamais vraiment quittée ; c'est elle qui me permet de vivre. Le cinéma est plus un engagement, une passion, mais je ne peux en vivre.

Pourtant, vous avez conquis les critiques et le public étrangers. Kinatay a par exemple décroché le prix de la Mise en scène à Cannes en 2009. Est-ce à dire que la consécration tarde à venir aux Philippines ?

Je jouis d'une reconnaissance aux Philippines, mais qui se limite à mes pairs. Si vous me parlez de la diffusion de mes films, nous n'en sommes pas encore là. La majorité des Philippins préfèrent les productions grand public, pas le genre de film que je fais. Même si mes films étaient projetés dans les cinémas privés, peu de gens iraient les voir. Aussi je les montre uniquement lors de projections spéciales, dans des écoles ou des universités.

Regrettez-vous ne pas toucher un public philippin plus large ?

Non, parce que ce n'est pas quelque chose que vous pouvez changer d'un coup de baguette. Prenez mon cas : il m'a fallu de nombreuses années avant de m'ouvrir au cinéma indépendant. Il faut procéder avec douceur et patience. Progressivement, le public y viendra. Mais j'ai bien conscience que je ne verrai probablement pas cela de mon vivant...

Vous faites aujourd'hui office d'ambassadeur du cinéma philippin à l'étranger, multipliant vos apparitions dans les festivals. Est-ce un rôle qui vous convient ?

Oui et non. Quand vous êtes ambassadeur, vous essayez de promouvoir quelque chose qui suscite l'admiration. Or aux yeux de la plupart des Philippins, ce dont je parle n'est pas quelque chose dont ils sont fiers et qu'ils souhaitent montrer à l'extérieur. Ils préféreraient que tout ça soit gardé secret. C'est donc paradoxal : je parle au monde de choses qui ne sont pas supposées être révélées. De plus, j'aimerais que cela dépasse la simple reconnaissance, que mes films déclenchent une prise de conscience et débouchent sur des actions.

Vos films sont-ils porteurs d'une telle force ?

Vous savez, monter ces films est suffisamment difficile. Il s'agit déjà d'un combat, comme pour trouver un producteur prêt à y mettre de l'argent. Si au-delà de mon travail quelque chose se produit, ce sera du bonus. Mais moi, j'ai fait mon travail en tant que réalisateur, et c'est déjà beaucoup. Me demander de changer la société ou le gouvernement, c'est trop me demander !

Le 10 mai, les Philippines voteront. La présidente Arroyo, après neuf années au pouvoir, est plus impopulaire que jamais. Les élections ont-elles, selon vous, le pouvoir d'apporter un changement ?

Par le passé comme aujourd'hui, les Philippins ont toujours placé de grands espoirs dans les élections même si, au bout du compte, on ne récolte que la déception. Car, au final, il s'agit juste d'un show. Mais ce que j'admire, c'est que les Philippins ne cessent jamais d'espérer, de rêver... qu'un jour leur vie changera. Et, si certains se montrent sarcastiques ou méchants, c'est parce qu'ils se rendent compte qu'ils ont régulièrement été dupés par les politiques.

Avez-vous un candidat favori ?

Non. Tous excellent dans les belles paroles, mais c'est tout. Des sacrifices seraient nécessaires. Il existe peut-être quelque part un candidat prêt à cela, mais il n'a aucune chance de percer ; ceux qui ont des intentions louables et sincères ne sont pas populaires. C'est la même chose dans l'industrie du film.

Les Philippines ont été dirigées dans les années 1990 par Joseph Estrada, un ancien acteur, à nouveau dans la course présidentielle cette année. Pourriez-vous être tenté de vous engager un jour en politique ?

S'il y a bien quelque chose que je peux vous garantir, c'est que jamais, au grand jamais, je ne rejoindrai ce monde !

28.04.2010 | Propos recueillis par François Gerles

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