samedi 16 octobre 2010

Camiguin Norte, l'Imprévisible

Alors l'idée d'aller à l'autre bout des Philippines a démarré comme cela: pour notre dernier voyage de cette fabuleuse année d'études aux Philippines, on avait décidé avec Violaine de sortir des sentiers battus. On choisit trois destinations possibles, Mindanao dans le sud du pays mais après plus mûre réflexion, avec les élections présidentielles s'approchant à grand pas et la propension de se faire kidnapper et rançonner dans les campagnes de Mindanao, on a finalement calmé nos ardeurs et 2 choix restaient: une île au centre du pays, Sibuyan Island, les Galapagos des Philippines et les îles tout au nord des Philippines, les Babuyan Islands où les baleines à bosse migrent à cette période de l'année, autour du mois d'avril.


Finalement le dernier choix est pris et on part le 17 mars 2010, notre fidèle gros sac de backpacker sur le dos. Après 12h de trajet à grelotter à cause de la fameuse climatisation philippine dans les cars : à mettre un pull sur soi, à s’emmitoufler dans un sac à viande (sac de couchage en soie) et à enrouler autour des pieds un autre pull. Et oui, il fait 30° dehors mais 10-15° à l’intérieur. C’est comme ça, c’est la tradition philippine pour les cars, et les bâtiments publics ; un petit 20-25° serait amplement suffisant. Dès fois, aux Philippines, je préfère mettre le cerveau sur off et ne pas essayer de chercher à comprendre. S’il y a des ingénieurs système du froid quelque part, j’attends toujours l’explication…


Nous voilà donc arrivés au port d’Aparri tout au nord de la Grande île-Province de Luzon à 6h du matin, pile pour le lever du soleil. On prend donc un habituel tricycle entre la gare routière et le « port » (il est préférable de dire, une espèce de banc de sable avec des bangkas de pêcheurs et 2-3 barques-annexes pour rejoindre les bangkas-cargo (transporteurs de marchandises pour les îles). Je me mets derrière le chauffeur, sur la moto donc et profite du tiède vent-vitesse. On prend un chemin caillouteux parsemé de bon gros nids de poules entre les petites bicoques aux toits de tôles, rasants les habitants s’affairant devant le pas de leur porte. Certains enfants nus se lavent à l’aide d’un broc et d’un seau d’eau, le shampoing dégoulinant de leurs cheveux. Certains hommes et femmes font de même. Des hommes ont déjà la bouteille de Tanduay, Brandy ou Gin dans une main, le verre à moitié vide, ou plein, dans l’autre. Les gens nous sourient au passage, les blancs se faisant très rares dans la région. On met le pied à terre au port, on dépose nos bagages avec les bagages des autres passagers qui nous préviennent que le bateau partira vers 9h. On décide alors de faire un petit tour à pied dans les environs, jusqu’au bourg d’Aparri, sans trop avoir peur de nos bagages laissés derrière nous. On n’a encore jamais eu de problème de vols de bagages aux Philippines et on le fait souvent quand il y a du monde. On va prendre notre petit déjeuner au Jollybee, le Mc Do local, avec de bons pancakes et cafés bien appréciés après cette nuit de transport glacial.


On revient finalement au port vers 8h30, on patiente et j’achète un RC, coca local à 7 pesos la bouteille de 33cl (environ 10 centimes d’euros) , plutôt pas cher, donc plutôt tentant quand on a chaud. Et oui ! Vers 8h du matin il fait déjà chaud. On transpire déjà, surtout quand on patiente sous le soleil. Et en attendant le départ, je prends des photos. La lumière matinale est très belle et j’en profite pour mitrailler les pêcheurs qui se lèvent et préparent leur bateau. Ils fument, mangent, embarquent des coqs dans des caisses en carton trouées, des bidons d’essence, des caisses en tout genre.

Alors, des gardes côtes viennent et inspectent les papiers du capitaine de notre bateau. En même temps, nos bagages sont apportés avec ceux des autres passagers dans une autre bangka parce qu’il n’y a pas assez de place dans le notre. On pourra retrouver nos bagages su Camiguin Norte Island. Notre plan est, après avoir débarqué sur Camiguin de prendre un autre bateau pour aller sur une île encore plus au nord, Babuyan Island. Ca fait beaucoup de bateau, mais Babuyan Island est apparemment la plus belle du groupe des Babuyan Islands.


9h passe. Vers 10h on nous fait embarquer sur une grosse bangka avec tous les autres passagers. Puis on attend… 1h puis 2h sous le soleil avec des enfants à bord. Il fait très chaud et on s’impatiente. L’essence est montée à bord. Violaine demande alors, énervée, au capitaine ce qu’on attend. On nous répond qu’on ne peut pas partir car les garde-côtes ont découvert que le permis de transporter les passagers du capitaine est dépassé. On s’énerve. Surtout Violaine ; et on nous propose d’aller au bureau des garde-côtes dans le centre ville. On nous dit alors qu’on doit attendre jusque mardi le prochain bateau qui lui est en règle. On s’énerve à nouveau mais on ne peut rien faire. On doit être rentrés à Manille le mardi donc ce n’est pas possible d’attendre. Et puis nos bagages sont déjà partis sans nous sur l’île donc on a comme un petit problème à régler. Nos bagages peuvent être ramenés le lendemain soir mais ca nous fait beaucoup de temps perdu sur un court week end.


On revient finalement au port pour essayer de trouver le capitaine et de lui demander de résoudre le problème. On ne le trouve pas. Bien sûr. Finalement on décide de passer la nuit à Aparri et de décider de ce qu’on va faire le lendemain. Comme nos valises sont parties sans nous, Violaine va en ville au marché pour nous acheter chacun un T-shirt et des sous vêtements, la nuit de transport plus cette matinée mouvementée et bien chaude commençant à nous faire plutôt puer ! Pendant ce temps je retourne au port et essaye de trouver à nouveau une solution pour arriver sur l’île de Camiguin, récupérer nos sacs et continuer notre voyage. Je parle avec un vieux monsieur qui réussit à me faire comprendre qu’il y a un bateau qui part le lendemain à quatre du matin. J’appelle donc Violaine pour lui dire la bonne nouvelle. On dort dans un petit hôtel -villa typique espagnole pour 300 pesos, tenu par un monsieur très gentil qui me donne les résultats des élections régionales en France. Vraiment étonnant ce monsieur, perdu dans une toute petite ville au far north des Philippines qui s’intéresse aux élections régionales françaises. On discute donc le soir de politique française, européenne et philippine.


Le lendemain matin, après une courte nuit de sommeil, on retourne au port. Il fait toujours nuit. On retrouve alors les mêmes passagers que la veille. On patiente 30min et on nous fait embarquer dans une barque, comme des immigrés. Vraiment. On s’est senti comme des immigrés à ce moment là. A partir avec un bateau pas en règle (en fait c’est vraiment courant aux Philippines), entassés dans une barque de nuit. On nous emmène alors sur un bateau… de marchandises… rempli à ras-bord de marchandises. J’essaye de trouver un banc, un siège. Mais non, il n’y en pas. Il n’y a que le toit du bateau. Et il y a déjà des gens dessus. On se regarde avec Violaine ; je lui dis que je ne suis vraiment pas rassuré et que je ne veux pas y aller, mais il n’y a plus trop le choix on est déjà face au bateau et on ne peut plus trop faire marche arrière. On grimpe donc sur le bateau. Violaine trouve une petite place à l’avant du toit, au dessus de la vitre de la cabine du capitaine. Moi je m’assois sur un tas de marchandises juste devant la cabine, un peu décalé par rapport à la petite vitre du capitaine. J’ai peur. J’ai même très peur. C’est même la première fois que j’ai si peur et que je me dis qu’on a des chances de mourir. Les années précédentes, il y avait déjà eu des naufrages. Et puis bien sûr, je regarde partout autour de moi et il n’y a pas de gilet de sauvetage. A quoi bon ?! Je crois que c’est alors la première fois de ma vie que j’ai prié, réellement. Je ne sais pas quel dieu. Je ne sais même pas si j’ai prié un dieu. Mais j’ai prié de rester en vie, de ne pas couler, d’arriver sur cette maudite île et qu’il n’y ait pas de vent ni de mer houleuse. Je regarde une nouvelle fois autour de moi. Il n’y a pas de vent, pour l’instant, et puis il n’y a pas de houle mais ça parait normal ; on est dans une baie très protégée. Violaine décide de dormir. Je décide de rester éveillé et de veiller sur les environnements alentours et de trouver n’importe quel objet au cas où il y a un souci pour qu’on puisse s’y accrocher et flotter avec Violaine. On part finalement à 5h du matin. On quitte la baie et nous voilà sur le vrai océan, dans l’océan Pacifique ! Heureusement pas de vent et pas de houle même si chaque vaguelette passe par-dessus bord à l’avant dû à la ligne de flottaison très basse du bateau et la surcharge évidente. L’océan à perte de vue, l’île est à 6h de bateau donc c’est normal. On avance lentement mais sûrement. Et puis vient le lever du soleil. Très beau. Sans nuage. D’autres bateaux de pêcheurs apparaissent à l’horizon. On aperçoit leur gros faisceau lumineux qui servent à attirer les poissons. J’écoute de la musique et je prends quelques photos pour me changer les idées. Le vieux monsieur à côté de moi fait un très bon modèle.


Plusieurs heures plus tard, on commence à voir apparaître plusieurs îles qui se rapprochent petit à petit. Elles sont très belles. Très sauvages. Recouvertes de montagnes boisées et parsemées de falaises et de collines se jetant directement dans la mer. Je m’installe alors à l’avant du bateau à côté du capitaine qui a laissé la barre à un autre membre d’équipage. Je parle un peu avec lui et il m’explique qu’il a appelé quelqu'un de l’île de Camiguin, la veille pour que nos bagages soient en lieu sur. Ca me rassure. Et puis il me dit que des volontaires de World Wild Foundation font des recherches en ce moment sur les baleines à bosse et sont basés sur Camiguin. Aussi, l’animateur d’une émission télévisée « d’aventures écologiques », Born To Be Wild et ses cameramen sont en train de préparer une émission sur les baleines. J’en parle donc à Violaine et on se décide à essayer de les rencontrer dans la journée ou en soirée.


L’arrivée sur l’île de Camiguin est plutôt originale : Le bateau ne pouvant atteindre la plage sans abîmer la coque, un mini radeau fait de deux gros bidons d’essence et de planche de bois est mis à l’eau et un des membres d’équipage rame jusqu’à la plage avec ses tongues, emportant un gros "bout" avec lui. On monte alors sur le radeau et on tire sur le gros bout. Nous voilà enfin arrivés sur Camiguin après tant d’émotions, d’acharnement et de fatigue, après tant de trajet, d’aller retour entre le centre d’Aparri et son port, après avoir pu débarquer sur cette plage de galet à l’aide de planches de bois attachés à deux bidons d’essence. Et oui, nous y voilà sur Camiguin Island. Les autochtones nous regardent avec beaucoup d’étonnement, et pendant tout notre court séjour, on nous demande, « mais pourquoi vous venez sur Camiguin Island ? ». Alors on répond qu’on a vu trois lignes écrites dessus dans un guide touristique et qu’on pouvait voir des baleines alors on est là. Notre réponse ne les satisfaitt pas entièrement et pensent qu’on est un peu fous. Qu’importe. Nous sommes heureux d’être là et ils ont l’air heureux de voir de nouvelles têtes.

Sur cette île hors du temps et de l’espace, les buffles circulent sur la seule rue du village, avec une charrette harnachée à leur flanc ou bien un enfant à califourchon sur leur dos. Les quelques rares jeunes motards exhibent avec fierté leur bel engin. Le matin tôt, les pêcheurs mettent leur bangka à l’eau, les autres hommes travaillent dans un des très rares magasins, tendis que les femmes et certains enfants s’affairent dans les champs ; principalement des rizières. Le ferry régulier ne vient faire escale qu’une à deux fois par semaine et les bangkas-cargos comme celui qu’on a pris ne font le trajet vers le continent que lorsqu’une commande est passée. L’électricité n’est pas présent partout dans le village et encore moins dans les endroits reculés de l’île ; la maison où nous avons séjournée s’est d’ailleurs révélée être tenue par le propriétaire du bateau qui n’était pas en règle et que Violaine avait appelé en fureur la veille. Il nous accueille étonnement gentiment, par culpabilité sans doute. L’annexe de sa maison n’avait ni électricité, ni douche, ni eau courante dans les WC.


Le soir, assis sur la plage de galets, à contempler un magnifique coucher de soleil, aucun nuage ne venant souiller le ciel aux tons orange-rouge puis violets, on se met à parler de ces différences entre cette petite île et le continent et surtout Manille. Les fondamentaux de la culture philippine sont là : le basketball, sport roi n’importe où aux Philippines, le karaoké, l’autre activité reine, celui-ci se pratiquant surtout à partir de la tombée de la nuit. Le comportement des philippins, toujours aussi souriants, toujours aussi accueillants, toujours ce « Hey Jo », datant de l’arrivée des américains venus chassés les méchants japonais, arrivant en héros et distribuant chewing gum, barres chocolatées et cigarettes. Côté gastronomie, on ne changera pas le plat de riz avec du poisson ou des morceaux de viande hachées, ou coupées en morceaux puis trempées dans de l’huile ou des sauces sucré-salé ; cela 3 fois par jour. Matin, midi et soir. Dans les quelques sari-sari que l’on peut comptés sur les doigts de la main, on peut également trouver les produits « du continent », le fameux choco mucho que j’adore : une barre chocolatée avec caramel et riz soufflé. On y trouve également du café, des petites ou grandes bouteilles de sodas mais pas de grande bouteille d’eau, les philippins préférant boire de l’ice tea ou des sodas à l’eau. On peut trouver de la bière, des boites de conserve miniatures à la taille conçue pour pouvoir être acheté par les philippins, des légumes, de la sauce soja, des calamansi (citron miniature local)...
Nous admirons le coucher de soleil et nous savons que ce même calme et cette même splendeur est présente partout sur l’île. Pas de pollution, pas de tricycle, pas de jeepney, pas de voiture, pas de vendeurs à la sauvette se promenant avec leur cloche ou criants ce qu’ils vendent, pas de monde. Le soleil, imperturbable, sombre dans l’océan. La sérénité nous enveloppe. Nous sommes apaisés. Heureux.


On s’en va trainer dans l’unique rue, faite de terre. C’est la fête au village ! C’est le jour de la remise des diplômes du collège et, comme les kermesses que nous attendions avec tant d’impatience du tant de la primaire, les enfants et adolescents ont tous le sourire et s’amusent, des spectacles de danse s’enchaînent, les enceintes hurlent leur musique, des intervenants et anciens élèves ayant réussi une belle carrière sur le continent viennent motiver les troupes, font rejaillir l’espoir d’une vie fortunée. Une des organisatrices nous voit et vient nous demander de nous assoir au premier rang. Les gens sont très étonnés mais semblent très heureux de voir ce petit duo de jeunes blancs perdus sur cette île bien loin de tout. On reste environ une heure puis on arrive à s’échapper.
On s’est décidé à aller frapper à la porte du petit lycée où logent ces aventuriers et chercheurs du WWF et Born To Be Wild. La rencontre est extraordinaire. On nous accueille chaleureusement dès la première seconde. On nous invite à nous assoir, on nous sert à manger et à boire. On explique qui on est et qu’on aimerait voir des baleines. Ils nous invitent sur leurs bateaux ! Pas de soucis pour eux, ça leur fait très plaisir qu’on soit là. Un peu de nouveauté sur l’île. Ils se mettent à chanter, au son de la guitare de A.G., l’artiste, militant, environnementaliste, à la cause des animaux et surtout des dauphins ces temps-ci. A.G. a un projet de peindre 20 000 dauphins plus ou moins gros sur des murs d’ici septembre 2010 pour dénoncer le massacre des dauphins perpétré dans une baie japonaise (environ 20 000 dauphins tués) durant ce mois de septembre.


La soirée est géniale, on s’amuse, on chante, on mange, on boit et la convivialité de ces jeunes aventuriers, marginaux, artistes ou chercheurs soucieux de l’environnement nous offrent une soirée géniale et un aperçu prometteur de la journée du lendemain.

On se réveille à 5h30 du matin pour se préparer, prendre un petit déjeuner rapide à base de choco mucho et d’ice tea avant de rejoindre les teams Balyenas (Mary, Jean, A.G., Elga, Cynthia, Milye….) et « Born To Be Wild» (Alex, Hech, Karl, Mong et Kiko). On s’installe dans un des deux bateaux. Les caméras commencent à tourner pour filmer les paysages, la vie dans le village et Kiko Rustia, le présentateur de l’émission. Le soleil s’est déjà levé et on se dirige droit au large à la recherche des baleines. Notre Balyenas team est expérimentée et connait les endroits où aller. Ils ont un hydrophone, une belle caméra, une carte côtière et une équipe à la motivation inaltérable.


Pendant 3 heures, on sillonne les côtes, chacun à son poste scrutant une partie de l’horizon. Un des membres des Balyenas décident de mettre l’hydrophone à l’eau pour savoir si des baleines sont dans les environs. Le signal est positif, un des membres d’équipages dressent un drapeau blanc pour avertir l’autre bateau qu’une baleine chante. Ils nous laissent écouter. Le son est très faible. La baleine est loin mais le chant est magnifique. Une alternance de sons aigus puis graves. Majestueux. On devient alors tous de plus en plus vigilant mais aucune baleine à l’horizon.

Puis les dauphins font leur apparition. Le premier qui les aperçoit crie « Dolphins at 11 a clock ». On peut voir en effet un mouvement différent de la houle régulière, de ces ondes qui s’étendent à l’infini, trompeuses pour l’œil humain : Quand une vague dépasse la houle à l’horizon, on espère que c’est une baleine ou des dauphins et on fixe ce point et les alentours pendant plusieurs minutes, espérant voir quelque chose de familier réapparaitre, quelque chose à la forme proche d’une baleine ou de dauphins. En vain. Cependant, nos compagnons sont de plus en plus excités car ils nous expliquent que les dauphins accompagnent souvent les baleines, les escortent. On suit les dauphins, ils jouent autour du bateau. Des dizaines, puis des dizaines de dizaines de dauphins apparaissent, jaillissent de l’eau, sautent pour replonger un peu plus loin. Ils fusent aux côtés du bateau, se croisent et recroisent, passent sous le bateau pour réapparaitre de l’autre côté, sautent, resautent, s’éloignent, se rapprochent. Ils semblent se délecter de notre présence et nous offrent un spectacle formidable.


Alors qu’on admire nos nouveaux compagnons mammifères, quelqu'un hurle « Blow ». Tout le monde se dresse, et scrutent à l’horizon le signe accusant la présence d’une baleine. Le rythme cardiaque s’accélère à toute vitesse, les yeux se plissent et les pupilles s’écarquillent. L’excitation monte et je m’accroche à un des poteaux de bois de la bangka, droit comme un I pour voir le plus loin possible. Nous nous élançons vers l’endroit où le « Blow » a été repéré. Les baleines restent généralement 12 minutes sous l’eau en mode « nage en surface ». On compte seconde après seconde, minute après minute sans relâcher l’attention visuelle.

Un énorme corps apparaît à l’horizon. Tout le monde hurle de joie. Puis un autre corps. Leur partie dorsale s’exhibe à la surface puis la queue, majestueuse, se déploie dans les airs avant de disparaitre dans l’océan sans bruit, sans heurt. Ce qu’on attendait tous arriva peu après : « Breach !!! » crie quelqu'un en montrant du doigt la direction : La baleine, s’élance. L’énorme tête surgit de l’eau. Elle se dresse à la verticale, avec une aisance étonnante. Elle se dresse dans les airs à une vitesse remarquable pour s’écraser de tout son côté dans un vacarme effroyable. Des tonnes d’eau sont projetés de toute part dans les airs, des vagues ahurissantes se forment pour quelques secondes avant que la régulière et imperturbable houle ne reprenne son cours. Le spectacle se reproduit 2-3 fois. Nous sommes bouche-bée. L’étonnement, la curiosité et la joie resurgissent tout droit de notre enfance. Nous avons envie de crier « encore, encore, encore !!!». Que ce spectacle ne se termine jamais ! Qu’il se perpétue sous nos yeux pour des heures, des jours, des années entières. Le bonheur se lit sur tous les visages. Le sourire ne se crispe pas, ne disparait pas. Les mots, les blagues, les chants, s’enchainent sans interruption. Nous sommes philippins, français mais notre communion est suprême. 


Nous décidons de nous arrêter sur une petite île pour aller manger, après tant d’émotions, après tant d’attention portée durant plusieurs heures sans arrêt. Les yeux sont fatigués. On se met à parler des baleines, des « breach », puis de notre vie, de notre culture, de nos pays respectifs, de nos projets. Mong, un des camerans de Born To be Wild se met à nous filmer quand Kiko nous demande comment était cette première expérience aux côtés des baleines à bosses. Nous sommes comme des gosses. Avec Violaine, on rigole, on crie, on sourit à pleine dents et on dit n’importe quoi. On imite les baleines. On imite les dauphins. On fait de grands gestes, on tant les bras, on saute…

On saura le soir que l’interview sera passée dans l’émission ! OUch !! On n’avait pas prévu cela ! On croyait qu’ils nous filmaient juste pour rire ! Nos petites têtes de blanc bec apparaîtront donc à la télé mercredi 2 juin ! Ca promet !

Le soir, on se montre nos photos, on discute autour d’une bière et d’un petit repas bien préparé par les soins de Father Joemar. Ah oui ! Je ne vous ai pas encore parlé de Father Joemar, dit Father Gadget ! Un sacré prêtre ! Oh oui ! Un sacré bonhomme ! Il est très gentil, très très gentil, on prend des photos avec lui, il nous montre tous ses gadgets fonctionnant à l’énergie solaire et nous explique qu’il a installé des panneaux solaires sur le toit du lycée. J’ai su après qu’il avait en fait été professeur de Mass Communication et Marketing dans une grande université à Manille et qu’il a décidé, un jour, de tout lâcher. On parle des Philippines, de l’île de Camiguin, de la France, de Lourdes et de Paris ou il a été. J’en viens d’ailleurs à la conclusion suivante : l’endroit le plus connu de France aux Philippines est… Lourdes ! Puis vient Paris. La place de la religion est primordiale aux Philippines. Et souvent, quand on rencontre des adultes et surtout des personnes âgées, une des premières questions qu’on nous pose est : « Are you catholic ? » --- «No, Ma’am ! » --- « So, what religion ? » ; « No religion !». Et là, à ce moment précis, tu deviens un alien, quelque venu d’ailleurs, d’une autre planète. Et vient alors la question fatale, à laquelle il faut toujours répondre «Yes !» : « But you believe in god, diba ?! » (diba = n’est ce pas en Tagalog).

Le lendemain matin, à l’aube, on se lance à la recherche d’un moyen de transport pour rentrer sur la terre ferme. On retourne voir le capitaine du bangka cargo pour savoir s’il connait quelqu'un qui rentre sur Aparri ou si lui-même aimerait rentrer sur Aparri. Par une petite virée à scooter derrière le capitaine, d’ailleurs très fier de se promener avec un jeune blanc, on fait le tour des baraques des pêcheurs. En fait, il n’y a qu’une piste, et que du côté du village principal. Si l’on veut atteindre l’autre côté de l’île il faut marcher pendant 7h ou bien prendre un bateau mais les courants et les côtes rocailleuses sont très dangereuses.


Il n’est pas facile de clore cette histoire. L’expérience tout entière fut extraordinaire mais ne s’éteint pas. De nombreuses retrouvailles se sont ensuite déroulées à Manille, principal lieu de travail de toute la joyeuse bande rencontrée à Camiguin et lieu d’une exposition-photos sur Camiguin Norte. Father Gadget a fait spécialement le voyage depuis le far north. Et Kiko espère venir un jour en France. Violaine en serait particulièrement ravie, s’imaginant déjà présenter son beau mannequin à tous ses amis et à se promener fièrement à ses côtés dans les rues de Paris. Kiko et A.G. aimeraient également monter une agence d‘ écotourisme et on s’est donc proposé, avec Violaine, de traduire leur site web en français.

Je vais donc devoir conclure là, mais seulement pour cette virée « Camiguin Mars 2010 » car j’espère qu’il y en aura d’autres.

Finalement, on aura loué un bateau du même capitaine que celui nous ayant emmené à l’aller. Espérant trouver d’autres villageois pour partager les frais, on n’a trouvé qu’une seule femme qu’on a finalement fait payer le même prix qu’à l’aller. Epuisés de ce week-end hors du commun, on se sera glissé à l’avant de la bangka sous la bâche protégeant nos sacs et on aura dormi à même le sol, la tête sur le sac à dos. Un sommeil plutôt bon pour les conditions : entre l’eau qui dégoulinait du bord de la bâche et de ses quelques trous et les lattes de bois qui nous rentraient dans le dos, entre les omoplates.
Le bus du retour fut digne de nos « espérances » : même galère qu’à l’aller : le froid nous empêchant presque de dormir. Et une petite contrainte en plus, mon examen final d’économétrie à réviser, examen qui avait lieu le lendemain ! Des révisions qui se sont donc faites à la faible lueur de ma lampe torche. De nombreuses formules et théorèmes à apprendre en quelques heures. Je dors tout de même quelques heures dans le bus et on arrive vers 5h du matin à Manille. Juste le temps de rentrer à la maison, de dormir une petite heure, de se remettre à travailler et d’aller à mon examen à 9h du matin. J’obtiendrais finalement un honorable 81/100, sans doute inspiré par les Babuyan Islands et par les chants des baleines qui, d’ailleurs, ne peuvent s’échapper de ma mémoire.

3 commentaires:

  1. NOT POSSIBLE to READ. Protesting!!! Edern's blog means nothing to non-French...oh, excuse me ,and non-Belgian... Je suis chinoise, j'ai dans merde! Citoyens du monde hate you...

    RépondreSupprimer
  2. j'adooooore :-D Nostalgieeeeeeeeeeeee

    RépondreSupprimer
  3. Punaise, si ça, ça donne pas envie..

    RépondreSupprimer